Espace Écrivain public - Interview de Claire Gustin

Le Fonds Truffaut-Delbrouck concentre son action sur la pauvreté infantile dans les écoles que fréquentent les enfants précarisés. Nous sommes convaincus que l’éducation est un élément clé dans ce qui est parfois appelé la transmission intergénérationnelle de la pauvreté, mais nous ne fonctionnons pas en vase clos. Comme nous, d’autres acteurs du secteur public ou associatif agissent pour renforcer l’émancipation individuelle et sociale.

Espace Écrivain publicL’Espace Écrivain public de Présence et Action Culturelles (PAC) veut « rapprocher de la langue française les personnes qui en sont éloignées », et ses actions sont surtout destinées aux publics fragilisés. La langue est considérée comme vecteur d’émancipation, puisqu’elle peut nous (re)donner un réel pouvoir sur notre vie.

Madame Claire Gustin, chargée de la coordination de l’Espace Écrivain public pour les régions de Liège, Huy et Verviers, a accepté de rencontrer le Fonds Truffaut-Delbrouck pour nous en dire plus sur ces actions, leur contexte et leurs objectifs.


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Madame Gustin, commençons par cette question toute simple : que fait un écrivain public… ou pas. Quels sont les limites de son intervention ?

Mme Claire GustinUn écrivain public accompagne d’autres personnes à la lecture, la compréhension et la rédaction d’écrits courants. Par exemple, que dit la lettre reçue d’une administration, comment compléter un formulaire de déménagement pour les sociétés d’énergie, ou rédiger un CV et une lettre de motivation. Il arrive même que l’écrivain public aide à écrire une lettre d’amour.

Mais effectivement, il y a aussi des limites. La relecture de documents plus longs et qui nécessitent un suivi ne font pas partie des attributions de l’écrivain public. Je pense aux travaux de fin d’études et aux mémoires ou, comme on nous le demande parfois, l’aide à la rédaction d’un livre ou d’un roman. Ce type de travaux exige beaucoup de temps et obligerait l’écrivain public à refuser d’autres demandes tout aussi légitimes. Nous voulons bien sûr éviter d’en arriver là.
 

Le travail ne manque donc pas, mais comment devient-on écrivain public ?

Chaque écrivain public faisant partie du réseau Présence et Action Culturelles a reçu une formation de plus ou moins 140 heures et effectue 15 heures de stage. Cette formation est importante car on ne naît pas écrivain public, même quand on possède les qualités de base que sont l’empathie, l’esprit critique et le dévouement. N’oublions pas que même si nos écrivains publics sont, pour la majorité, volontaires, ils agissent dans un cadre légal. Dès lors, ils doivent suivre des règles telles que la confidentialité et le respect de la vie privée. La formation à la fonction est très large. Les modules dispensés vont de l’histoire des politiques sociales et culturelles en Wallonie à celle des migrations, en passant par la déontologie, l’interculturalité ou l’approche de la pauvreté.
 

La formation est conséquente. Pouvez-vous nous en dire plus sur la motivation des personnes qui s’y engagent ?

Ce qui motive surtout les candidats – ou candidates, l’écrivain public peut tout aussi bien être une écrivaine – c’est la volonté de se rendre utile en accompagnant des personnes éloignées de la société, quelle que soit la raison de cet éloignement.
 

Une fois formé, l’écrivain public peut exercer, mais où sont actifs les écrivains publics ? Gardez-vous des contacts avec eux, bénéficient-ils d’un encadrement par la suite ?

Bien entendu. À la fin de la formation, chaque écrivain public qui le souhaite peut assumer une permanence. Deux options s’offrent à lui : soit il reprend une permanence existante « en panne » d’écrivain public, soit il a un projet de permanence qui lui tient déjà à cœur. En effet, il arrive régulièrement que ce projet existe avant que le futur écrivain public ne suive la formation. Il habite par exemple dans une commune où il estime qu’il serait opportun d’accompagner des personnes précarisées. Ensemble, nous prenons alors les contacts avec les partenaires potentiels et nous envisageons la possibilité d’ouvrir une permanence.

Dans tous les cas, nous veillons à ce que l’écrivain public puisse agir efficacement : il doit pouvoir disposer d’un ordinateur, d’une ligne internet, d’une imprimante et d’un téléphone. Il doit également pouvoir accueillir les usagers en toute confidentialité , dans un bureau indépendant ou un endroit isolé. Dès qu’une personne s’inscrit à la formation, elle fait partie du réseau de l’Espace Écrivain Public. Cela signifie qu’elle contribue au projet d’éducation permanente de Présence et Action Culturelles, tant dans sa fonction d’écrivain public qu’en participant à des actions diverses comme Tempocolor.

Le réseau implique également des échanges, c’est la raison pour laquelle nous organisons des réunions de coordination. Nous parlons alors des situations rencontrées lors de la permanence, mais nous abordons parfois aussi un thème spécifique, nécessitant éventuellement l’intervention d’une personne extérieure et experte dans son domaine. Je pense notamment à des organismes ou associations tels que les Centres publics d’action sociale (CPAS), le Forem ou le Cripel (Centre d’Intégration pour les personnes étrangères ou d’origine étrangère de Liège). Nous voulons nous tenir au courant des principales mesures et dispositions touchant nos usagers afin d’offrir un service efficace.
 

Les permanences d’écrivain public sont peut-être l’aspect le plus connu de vos actions, mais il y en a bien d’autres, comme des ateliers divers. Expliquez-nous.

 

Présence et Action culturellesEffectivement, au-delà des permanences, nous mettons sur pied des ateliers d’écriture ponctuels ou récurrents ainsi que des lectures à voix haute. Les deux sont encadrés par des animateurs formés par le mouvement Présence et Action Culturelles.

Nous collaborons avec divers partenaires pour les ateliers d’écriture, qui peuvent accueillir un public cible particulier mais existent aussi en formule « tous publics ». Le thème peut être fixé dès la conception du projet ou choisi par l’animateur et le groupe, mais la finalité est toujours de donner la parole à chacun et chacune. Un atelier peut aussi donner lieu à une publication ou une expression lors de certains événements organisés, comme une exposition ou une conférence-débat.

Mais soyons concrets, je vous donne quelques exemples d’ateliers. Nous avons un atelier récurrent à la bibliothèque du Jardin perdu à Seraing, à la Régie de quartier d’Angleur et au Quartier des Femmes du Centre Pénitentiaire de Lantin, et ceci depuis plusieurs années. Nous participons également à l’événement Langue Française en Fête qui se déroule chaque année dans les bibliothèques de la ville de Liège. Ces ateliers sont de plus en plus demandés, et cela n’a rien d’étonnant : des personnes qui ne se seraient peut-être pas rencontrées ailleurs s’y retrouvent et peuvent s’exprimer.

Les lectures à voix haute que nous programmons actuellement abordent le thème de l’immigration, et principalement celui des sans-papiers. Les textes sont écrits par des écrivains publics et des membres du collectif La Voix des Sans-Papiers. Ces textes emplis d’émotion et d’humour sensibilisent le public à la situation que vivent les personnes qui ont quitté leur pays dans des conditions difficiles. Après avoir fui les dangers qui les guettaient dans leur pays d’origine, ils sont ici aussi confrontés à des problèmes qui les empêchent de vivre dignement : leur régularisation est incertaine et se fait longtemps attendre, leur présence sur notre territoire n’est pas acceptée… Ces lectures-spectacles ont lieu dans des circonstances diverses, comme dans des écoles secondaires, lors d’expositions sur le thème de l’immigration, etc.
 

Quels problèmes les écrivains publics ou les animateurs des ateliers rencontrent-ils sur le terrain ? Quels expériences positives mettent-ils en avant ?

Avant tout, nous considérons qu’il n’y a pas de problèmes, rien que des solutions. Mais voici quelques écueils auxquels nous pouvons être confrontés.

La barrière de la langue constitue parfois un frein. Si quelqu’un ne parle pas du tout le français, cette personne peut se faire assister par une connaissance qui traduira, mais nous pouvons aussi s la diriger vers le Cripel, que j’ai déjà mentionné. Elle pourra y trouver un interlocuteur qui parle sa langue.

Il arrive aussi que l’écrivain public ne puisse pas répondre à une demande parce qu’il estime ses compétences insuffisantes. Via la coordination, il fait alors appel au réseau des écrivains publics.

Par ailleurs, certaines demandes sont contraires à la morale voire illégale
s. L’écrivain public n’y répond évidemment pas, mais il prend soin d’expliquer la raison de ce refus. L’important est que l’usager comprenne bien la situation.

Enfin, lors des ateliers d’écriture, comme dans tout groupe, des problèmes spécifiques peuvent surgir, mais nos animateurs y ont été formés et peuvent gérer les situations de conflit éventuelles.

Pour ce qui est des expériences positives, elles sont multiples, trop nombreuses à énumérer. De manière générale, le fait de rencontrer et d’accompagner les personnes est très enrichissant. Souvent, des liens se créent et les usagers reviennent régulièrement à la permanence, même pour un simple bonjour. Quant aux ateliers d’écriture, les participants sont toujours très assidus. Il est très gratifiant de voir comment évolue leur manière de communiquer avec les autres et comment ils s’intègrent progressivement dans la société.
 

L’Espace Écrivain public travaille souvent en partenariat avec le secteur social ou socio-culturel. Comment et avec qui ces partenariats sont-ils mis en place ?

Oui, le mouvement PAC collabore bien évidemment avec un grand nombre de collègues du secteur socio-culturel. Parmi nos partenaires habituels, je citerai le Centre Culturel des Chiroux, le CNCD-11.11.11, le Centre d’Action laïque et Point Culture. Lors de l’organisation d’événements, chaque partenaire apporte sa pierre à l’édifice en accord avec son objectif propre et une bonne concertation est donc indispensable.

Nous travaillons aussi avec des acteurs du secteur social proprement dit, par exemple dans le cadre des Plans de Cohésion Sociale ou avec les CPAS de plusieurs communes, ou encore avec l’ASBL Le Monde des Possibles dans le cadre de la Promotion de la Citoyenneté et de l’Interculturalité.
 

Nous savons que de nombreux projets peinent à assumer la charge financière et administrative de leur fonctionnement. Qu’en est-il de l’Espace Écrivain public ?

Avec le soutien de la WallonieEn ce qui concerne les permanences, le projet est principalement subventionné par la Région wallonne, et plus précisément par le département de l’Action sociale. Une convention est établie entre Présence et Action Culturelles et la Région wallonne et nous sommes amenés à solliciter le renouvellement de cette convention tous les trois ans. Par ailleurs, toujours concernant les permanences, nous sommes également soutenus par quelques opérateurs qui les accueillent. Quant aux formations, c’est la Fédération Wallonie-Bruxelles qui nous subventionne dans le cadre du Décret de l’éducation permanente.

Vous vous en doutez, même si les écrivains publics exercent leur fonction bénévolement, nous aimerions obtenir davantage de moyens financiers, pour pouvoir notamment augmenter le nombre des permanences. Un important travail administratif et de communication est nécessaire pour permettre à l’ensemble du réseau des écrivains publics de jouer pleinement son rôle.
 

Madame Gustin, pourriez-vous nous donner un exemple d’une réussite, d’une action qui vous tient à cœur ?

Une question difficile dans la mesure où le métier que j’exerce en tant que coordinatrice de l’Espace Écrivain Public ne me donne que des satisfactions… Je suis un peu comme le sportif ou l’artiste qui vit de sa passion, et la mienne, ce sont les gens. C’est vous dire comme je suis comblée. J’ai la grande chance de travailler avec des personnes très généreuses qui donnent de leur temps à d’autres personnes qui en ont grandement besoin.
 

Merci, Madame Gustin, pour cet éclairage très complet. Voudriez-vous encore ajouter quelque chose à ces propos ?

Je voudrais simplement souligner que des mouvements comme le nôtre ont une énorme importance dans la société. Prenons l’exemple de nos permanences : je tiens à rappeler que tous nos écrivains publics sont volontaires, ils sont à disposition du public totalement gratuitement et sans conditions. Leur rôle est l’accompagnement et non la sanction. Le but est toujours de favoriser l’esprit critique, dans un monde où la communication est extrêmement rapide et souvent toxique. Notre rôle est d’accompagner les personnes dans leur recherche d’autonomie et donc de liberté, de dire à toutes et à tous qu’ils ont le droit de s’exprimer. Bref, que diriez-vous de nous rejoindre, que ce soit au niveau des permanences ou pour des actions particulières ?

 

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