Colibris Solidarité Mécanique

Logo CSMColibris Solidarité Mécanique (ASBL) propose à ses membres un grand atelier bien outillé, où ils peuvent travailler sur leur véhicule en « self-service accompagné » et se former aux connaissances techniques de base.

Si a priori, le lien avec la lutte contre la pauvreté ne semble pas évident, CSM est aussi un lieu de militance très concrète pour une mobilité inclusive qui ne laisse personne au bord du chemin. Au travers des formations, des réparations, accessibles à prix très démocratiques, il s’agit d’autonomiser les utilisateurs de ces services, avec une attention toute particulière pour les publics féminins.

Le Fonds Truffaut-Delbrouck concentre son action sur la pauvreté infantile dans les écoles que fréquentent les enfants précarisés. Nous sommes convaincus que l’éducation est un élément clé dans ce qui est parfois appelé la transmission intergénérationnelle de la pauvreté, mais nous ne fonctionnons pas en vase clos. Comme nous, d’autres acteurs du secteur public ou associatif agissent pour renforcer l’émancipation individuelle et sociale.

Nous avons rencontré Messieurs Orlando Ayllon Roldan, Jean-Paul Pirson et Luc Lejeune. Ils nous ont fait partager leur enthousiasme, dans les locaux-mêmes de l’ASBL Colibris, pendant que des membres s’affairaient dans l’atelier.


Nous sommes dans le grand atelier de Colibris Solidarité Mécanique, vous venez à peine d’ouvrir les grilles et je vois déjà plusieurs personnes la tête sous le capot d’un véhicule ou s’affairant aux établis. Bref, des outils, du cambouis, de la mécanique… Mais ça, c’est la surface, l’important, c’est la solidarité. Expliquez-nous.

Eh bien, c’est assez simple. Nous sommes passionnés de sports moteurs, mais nos membres fondateurs sont issus de la réinsertion professionnelle. Nous avons donc voulu mettre notre intérêt commun au service de l’action sociale.

Nous nous sommes inspirés des garages self-service solidaires français pour mettre sur pied un atelier mécanique, une sorte de garage en libre-service où les clients font eux-mêmes les réparations, tout en bénéficiant des conseils d’un professionnel. Sauf que notre démarche n’est pas commerciale, mais sociale et participative.

Bref, les membres de l’atelier y viennent pour entretenir leur véhicule et faire de petites réparations à prix démocratiques. Vous l’avez vu, ce grand hall, où on travaille ensemble avec des outils partagés, peut aussi stimuler des contacts, des échanges qui débouchent sur des solidarités.

Un autre aspect de notre projet, c’est la formation et l’accompagnement. Nous accueillons volontiers les débutant·es, et nos utilisateurs acquièrent donc des connaissances techniques de base qui les autonomisent dans la vie quotidienne.

Vous êtes constitués en ASBL depuis 2017, et on peut dire que vous êtes déjà bien connus et reconnus à Liège, puisqu’en janvier 2025, vous avez obtenu le prix Solidarité en action de la Fédération liégeoise du Parti Socialiste. Comment avez-vous construit votre projet, et cette infrastructure impressionnante au service d’un idéal de société ?

Ça ne s’est pas fait en un jour, et la création de l’ASBL était une étape importante, mais nous avons pu vraiment démarrer notre atelier à l’automne 2022, quand nous avons investi ces locaux adaptés à notre activité. Nous avons commencé sur un mode plutôt confidentiel, puisque nous étions tous bénévoles et n’avions que notre temps libre à consacrer au projet. En ouvrant deux soirées et une matinée par semaine, nous avons pu tester sa pertinence, évaluer les besoins, et ajuster notre action en conséquence.

Heureusement, au fur et à mesure que nous avancions, nous avons été soutenus et nous avons trouvé des partenaires. Ces bâtiments par exemple appartiennent à la Ville de Liège, qui les a rétrocédés au Logis Social. Les hangars désaffectés ont été mis à notre disposition, nous les avons aménagés grâce aux compétences des bricoleurs parmi nous et de bénévoles professionnels. Pour l’équipement, nous avons mis en commun nos outils personnels et pu compter sur des dons et de la récupération. Le seul élément neuf, c’est le pont que vous voyez là, tout le matériel provient de nos réserves personnelles ou de dons.

En pratique, pour l’utilisateur, cela se passe comment ? Faut-il avoir des connaissances préalables, que peut-on faire soi-même, à quel prix ?

Nous ne sommes pas un garage comme les autres et ne faisons pas concurrence au secteur privé à vocation commerciale. Pour venir chez nous, vous devez d’abord être membre de l’ASBL. En 2025, la cotisation est de 60 € si vous payez le prix plein, 20 € si vous êtes allocataire social. Ensuite, on paie un forfait horaire de 30 €, réduits à 20 € pour le tarif social.

Vous prenez rendez-vous et nous sommes là pour vous conseiller et vous aider. Prenons l’exemple d’une dame qui est venue récemment : elle n’avait aucune connaissance en mécanique, elle devait changer ses plaquettes de freins, nous lui avons montré pas à pas sur la première, elle a fait elle-même la suivante. Elle est repartie avec un véhicule en meilleur état et plus confiante en ses capacités.

Bien entendu, on ne peut pas tout faire soi-même. Souvent d’ailleurs, surtout si le véhicule a déjà fort vécu, nous commençons par établir un diagnostic préalable avec son propriétaire. Ainsi, on peut déterminer des priorités et faire d’abord les réparations qui engagent la sécurité (freins, suspension, pneus, etc.) et limiter les frais dans l’immédiat. Il arrive aussi, hélas, qu’on doive mettre en garde contre des réparations coûteuses sur un véhicule qui est manifestement en fin de parcours.

Vous présentez l’ASBL Colibris comme « un outil collectif d’apprentissage qui milite pour une mobilité inclusive ». Qu’entendez-vous concrètement par là ?

Si vous avez les moyens de vous offrir une voiture neuve, les frais d’entretien et les réparations seront souvent limités, au moins pendant les premières années. Mais beaucoup de nos concitoyens optent pour l’occasion, plus par nécessité que par libre choix, et ils sont confrontés à des coûts parfois élevés lorsque leur véhicule tombe en panne, par défaut d’entretien ou par l’usure de certaines pièces.

En apprenant à faire soi-même, on peut comprimer les frais, mais il ne faut pas négliger l’aspect préventif. Apprendre comment prévenir certaines pannes et maintenir son véhicule en bon état, connaître les problèmes mécaniques courants, cela vous rend aussi moins vulnérable. Quand vous communiquez avec un garage classique par exemple, vous gardez plus facilement le contrôle si vous savez de quoi on vous parle. C’est particulièrement vrai pour notre public féminin.

De nos jours, la mobilité, c’est essentiel, pour trouver ou garder un emploi, pour se rendre au travail, mais aussi pour participer à la vie sociale et entretenir les liens familiaux. Quand on habite en ville et qu’on y reste, on peut faire beaucoup à pied, à vélo, utiliser les transports en commun, mais il faut bien se rendre à l’évidence : dès qu’on quitte le centre, qu’on doit se déplacer en dehors des plages horaires, et pour un tas d’autres raisons, la voiture est souvent indispensable.

Vous offrez des services selon deux axes, d’une part l’entretien et la réparation en self-service, d’autre part la formation. Comment s’articulent-ils ?

Les deux sont imbriqués, bien sûr, puisque nous conseillons et accompagnons les utilisateurs de l’atelier. Notre objectif est que chacun·e s’autonomise en augmentant ses connaissances et sa confiance dans ses capacités. La réparation ponctuelle est importante, mais nous tablons aussi sur la prévention : si vous connaissez les composants de votre véhicule, les soucis mécaniques potentiels, vous pouvez anticiper les frais mais aussi les problèmes de sécurité.

Parallèlement à cet encadrement individualisé, nous accueillons aussi de groupes pour des formations plus structurées, demandées par leurs employeurs engagés dans l’économie sociale. Nous avons des partenariats en ce sens avec des entreprises de titres-services ou de soins à domicile, la Ressourcerie du Pays de Liège, etc. Pour ces formations, les travailleurs ne s’inscrivent pas de façon individuelle, c’est leur employeur qui paie une cotisation à l’ASBL et un forfait horaire par personne.

Les membres travaillent eux-mêmes à leurs véhicules, mais l’entretien des infrastuctures, l’encadrement des activités, la gestion et l’administration de l’ASBL, tout cela demande du temps. Qu’en est-il de votre personnel ?

Ah, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il est très réduit. Comme nous l’avons dit, nous comptons beaucoup sur le bénévolat. Nous trois formons en quelque sorte l’équipe fixe, mais Orlando est notre seul salarié. Il est mécanicien de formation, mais a aussi travaillé comme éducateur et formateur avant de nous rejoindre. Nous combinons tous ces deux facettes : une passion pour la mécanique et un engagement social fort.

Actuellement, nous sommes aussi aidés par une personne engagée sous article 60, et nous accueillons deux stagiaires de la Régie des Quartiers, dans le cadre de leur formation d’aide-mécanicien.

Quant à nos bénévoles ponctuels, certains sont venus à l’atelier et ont été motivés par le projet, d’autres font partie de notre réseau de connaissances et nous donnent un coup de main occasionnel, d’autres encore ont entendu parler de nous et nous soutiennent volontiers quand des compétences spécifiques nous font défaut.

Comment financez-vous vos activités ? Même en comprimant les coûts, en tablant sur l’engagement bénévole, maintenir votre budget en équilibre ne doit pas être évident… ?

Oui, c’est d’ailleurs un enjeu pour les années qui viennent. Nous avons eu la chance de rencontrer les bonnes personnes au bon moment, y compris au niveau politique. Nous avons ainsi pu saisir des opportunités, comme la mise à disposition de nos locaux, et nous avons obtenu le soutien de la Région Wallonne pour notre projet pilote, innovant dans le secteur de l’économie sociale. C’est ce qui nous a permis d’engager un salarié pour assurer la permanence à l’atelier, initialement pour un an.

Après deux prolongations bien nécessaires pour lancer le projet dans sa phase opérationnelle, nous devrons dès 2026 nous passer de cette subsidiation. Nous devons donc trouver d’autres sources de financement, par exemple en démarchant des partenaires potentiels pour nos formations.

Vous nous avez parlé du public auquel vous vous adressez. Comment pouvez-vous l’atteindre ?

Nous ne faisons pas vraiment de publicité pour nos activités, mais manifestement, Colibris Solidarité Mécanique répond à un besoin. Vous pouvez le constater, notre tableau d’occupation est déjà complet pour les prochaines semaines…

En 2023, nous avions 101 membres en règle de cotisation, avec une répartition à part égale entre les tarifs plein et réduit. En 2024, nous étions à 285 membres, et la proportion de personnes bénéficiant du tarif social s’élevait à 75 %. Pour 2025, 50 personnes se sont déjà mis en règle en janvier, sans attendre un rappel. Surtout pour les personnes précarisées, nous savons que les canaux classiques de communication ‒ affiches, flyers voire réseaux sociaux ‒ ne sont pas très efficaces. C’est le bouche à oreille qui fonctionne le mieux, et nous sommes très heureux de toucher ce public. Parfois, nous ne réparons pas seulement des véhicules, nous contribuons à réparer des gens, qui trouvent chez nous une mixité sociale, des contacts, un maillage qui leur permet de sortir de l’isolement.

Comment voyez-vous l’avenir ? Comment pensez-vous faire face aux enjeux du développement de l’ASBL ?

Nous allons chercher activement de nouveaux partenaires, principalement dans le secteur de l’insertion sociale et socio-professionnelle. Nous sommes convaincus que notre ASBL peut répondre aussi à un besoin de formation pratique pour les stagiaires. Par ailleurs, nous pouvons encore accueillir des membres, mais la progression se fera dans les limites de l’infrastructure et de l’encadrement que nous pouvons offrir.

Pour le reste, nous sommes confiants et nous avancerons prudemment, comme nous l’avons fait jusqu’à présents : nous avançons pas à pas, dans la réflexion et l’action. Nous sommes portés par la solidarité qui est au centre de notre projet, elle est en tête des valeurs que nous voulons transmettre et qui animent cet atelier. Nous donnons notre temps, nous travaillons dans le concret, et nous faisons le pari que nous continuerons de trouver les soutiens institutionnels et politiques nécessaires.

Pour terminer, nous pourrions boucler en revenant au nom de l’ASBL. Pourquoi les Colibris ?

C’est tout un symbole, un colibri plutôt qu’une voiture, un moteur ou des pistons. Vous connaissez sûrement la légende du colibri qui a voulu « faire sa part » pour éteindre l’incendie.

Nous voulons être des colibris, sans prétention mais solidaires. L’injustice sociale, la précarité, l’exclusion ne s’évanouiront pas grâce à de belles paroles ou de grands plans stratégiques.

Nous pouvons agir modestement, mais chaque jour. Le partage de connaissances, les échanges et les solidarités qui naissent dans l’atelier tendent vers l’objectif concret d’une mobilité inclusive et financièrement accessible. Ils sont surtout un petit pas vers un monde où la logique du développement collectif l’emporte sur le profit individuel.

Messieurs Pirson, Ayllon et Lejeune, merci de nous avoir fait découvrir Colibris Solidarité Mécanique. L’action sociale, assortie de militance, peut prendre des formes très concrètes. Quand on visite votre atelier, on imagine aisément que les Colibris sont un magnifique vecteur de développement personnel mais font naître aussi des solidarités qui n’ont pas besoin de grands mots pour s’exprimer.

Faire avec ce qu’on a sous la main, avec qui on est, faire petit peut-être, mais faire vraiment et faire avec les autres : une belle leçon pour tout qui veut lutter contre la précarité et briser son cercle vicieux.

Orlando AYLLON ROLDAN, Jean-Paul PIRSON & Luc LEJEUNE


Propos recueillis par Carola Henn


En savoir plus

Site web de l’ASBL Colibris Solidarité Mécanique : https://sites.google.com/view/le-colibris/

Colibris Solidarité Mécanique sur Facebook : https://www.facebook.com/groups/solidaritemecanique/


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