La Régie des Quartiers de Liège (Elodie Gerckens, Lindsay Korevaar et Jean-Paul Bonjean)

Le Fonds Truffaut-Delbrouck se concentre sur la pauvreté infantile dans les écoles que fréquentent les enfants précarisés. Nous sommes convaincus que l’éducation est un élément clé dans ce qui est parfois appelé la transmission intergénérationnelle de la pauvreté, mais nous ne fonctionnons pas en vase clos. Comme nous, d’autres acteurs du secteur public ou associatif agissent pour renforcer l’émancipation individuelle et sociale.

La Régie des Quartiers de Liège (RQL) a été créée en 2005 à l'initiative de la Ville de Liège, du CPAS de Liège, de La Maison Liégeoise et du Logis Social. Cette ASBL dépend par décret de la Région wallonne, du Fonds du logement. Elle a pour objectif l’insertion par le logement, l'insertion sociale ou socioprofessionnelle et la redynamisation des quartiers fragilisés, à travers différentes actions.

Ce que fait la Régie des Quartiers de Liège peut, à première vue, avoir peu de lien avec la lutte contre la pauvreté infantile, qui est au centre de l’action d’associations comme le Fonds Truffaut-Delbrouck. Le lien devient pourtant évident quand on sait qu’actuellement, selon la Fondation Roi Baudouin, 27,3 % des personnes sans abri ou sans chez-soi sont des enfants.

Madame Elodie Gerckens, coordinatrice générale, Madame Lindsay Korevaar, du pôle dynamisation de la RQL, ainsi que Monsieur Jean-Paul Bonjean, président de la RQL et par ailleurs président du CPAS de Liège, ont accepté de nous parler de la Régie des Quartiers de Liège.


 

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Commençons par le début. La Régie des Quartiers, c’est une dénomination qui ne parle pas forcément au grand public. Pourquoi ce nom ?

Image1Ah, ce nom, c’est en quelque sorte une appellation contrôlée. En Wallonie, les Régies des Quartiers doivent répondre à des conditions strictes pour être agréées. Elles ont pour but d’améliorer les conditions de vie à l'intérieur des quartiers, par deux types d'actions : d’une part, celles favorisant l'amélioration du cadre de vie, l'animation, la convivialité et l'exercice de la citoyenneté et d’autre part, celles contribuant à l'insertion sociale et socioprofessionnelle des stagiaires en leur offrant une formation encadrée par une équipe professionnelle.

Le dispositif est intimement lié à la pédagogie de l’habiter, nous voulons contribuer à redynamiser les quartiers en accompagnant les habitants dans leurs projets personnels, pour qu’ils puissent développer leur pouvoir d’agir. Cela peut paraître abstrait, mais il suffit de pousser la porte de notre Cyber Café Social par exemple pour comprendre. Pour ce qui est de l’insertion socioprofessionnelle, rappelons que deux sociétés de logement public ont été parmi les initiateurs de la Régie des Quartiers de Liège. La formation des stagiaires peut donc se faire sur de vrais chantiers.


La Régie des Quartiers de Liège est implantée au cœur des quartiers de Sainte-Marguerite, de Saint-Léonard, de Droixhe, des Vennes et d’Angleur. Pourquoi ce choix ? L’action de la RQL se limite-t-elle à ses quartiers ?

Image2Les Services d’Activités Citoyennes qui composent la Régie des Quartiers sont implantés au cœur de quartiers fragilisés, souvent en zones de rénovation urbaine. Nous pouvons ainsi mieux répondre aux besoins de leur population.

Depuis fin 2021, nous avons réorganisé notre fonctionnement. Nous continuons à offrir un service de proximité dans chaque quartier, mais nous nous organisons de façon transversale. Nous voulons être au plus près des gens, et les accompagnons là où ils se trouvent, en nous rendant dans les Maisons intergénérationnelles par exemple. Mais il n’y a pas de logique territoriale stricte, tous les Liégeois sont les bienvenus dans tous nos services.

Nous espérons par ailleurs étendre nos activités à d’autres quartiers, les besoins sont là, mais chaque chose en son temps...


La Régie des Quartiers de Liège offre notamment une formation de base comprenant différentes filières : ouvrier/ouvrière polyvalent.e, nettoyage, logistique, métiers verts, agent.e de propreté et dynamisation. À qui cette formation s’adresse-t-elle ? En quoi est-elle spécifique, par rapport à celles proposées directement par d’autres acteurs comme le Forem ?

La première condition, c’est d’être en recherche d’emploi, mais il ne faut pas forcément être chômeur indemnisé. Nous ne demandons pas de diplômes ou de formation scolaire préalable, tous les citoyens liégeois sont les bienvenus. Par contre, nous devons hélas refuser les personnes qui ne disposent pas d’un titre de séjour valable en Belgique. Nous nous adressons à un public fragilisé, éloigné de l’emploi pour différentes raisons : une formation de base insuffisante pour entamer une formation qualifiante, un faible niveau de maîtrise du français, une longue période d’inactivité, etc. Nous mettons l’accent sur l’insertion sociale, pas seulement socioprofessionnelle.

C’est en cela que notre approche est différente de celle d’autres acteurs, qui se concentrent sur la remise à l’emploi. Nous nous attachons à lever les freins qui empêchent nos stagiaires de prendre la place qui leur revient dans la société. Grâce aux aspects techniques de la formation, certains cherchent et trouvent du travail. D’autres voudront affiner leur parcours en suivant une formation qualifiante. Dans tous les cas, ils auront augmenté leur pouvoir d’agir sur leur devenir social et professionnel, puisqu’ils auront de meilleures compétences à faire valoir après la remise à niveau dans les compétences de base que sont le français, les mathématiques et l’informatique, toujours en lien direct avec le domaine de formation. Soulignons aussi le suivi intensif  : le nombre de stagiaires est limité, nous pouvons donc assurer un accompagnement individualisé, lors d’une formation à proximité du lieu de vie.

 

Justement, parlons de ces aspects très concrets. Comment faites-vous pour motiver vos stagiaires, pour leur proposer un suivi qui les incitera à tenir bon, à aller jusqu’au bout de leur projet ?

Image3Tout commence par un projet personnel, effectivement. Avec les candidat.e.s stagiaires, nous essayons de le définir le plus précisément possible afin d’éviter les échecs ultérieurs. Nous n’organisons pas d’examens, il n’y a pas de sanctions directes, mais nous avons un devoir d’information : les personnes qui nous sont adressées par le Forem ont à rendre compte à ce niveau.

Nous travaillons avec des contrats de 3 mois à raison de 35 heures par semaine. En plus de la formation technique, une vingtaine d’heures, nous offrons un accompagnement collectif (job coaching) qui met aussi l’accent sur les droits et devoirs du travailleur et du citoyen. Tout ceci en plus de la formation de base plus générale que nous venons d’aborder.

Un aspect particulièrement motivant de nos formations est qu’elles se passent en grande partie sur chantier. Nos partenaires privilégiés sont le CPAS, la Ville de Liège et les sociétés publiques de logement mais nous travaillons par exemple aussi avec différentes ASBL, comme la Tanière des Tournières ou Collections et Patrimoines, pour offrir un cadre formatif diversifié qui permet d'acquérir de nombreuses compétences utiles à l’insertion. Ces collaborations sont gratifiantes tant pour les formateurs que pour les stagiaires. Ce qui compte, c’est le savoir-faire et le savoir-être, qui sont directement valorisés et travaillés sur chantier.


La filière « dynamisation » de la RQL répond à une demande d’accompagnement plus soutenu, moins directement lié à la recherche d’emploi. Pouvez-vous nous donner des exemples d’activités organisées dans ce contexte ?

Cette filière est née d’un constat de terrain. Nous avons dû constater qu’un programme de 35 heures par semaine n’était pas à la portée de tous les stagiaires. Pour certains – principalement certaines, en fait – il était incompatible avec l’organisation de la vie de famille, d’autres sortaient d’une longue période de maladie, bref, de multiples raisons peuvent hypothéquer un tel projet de formation.

Nous avons donc imaginé en parallèle un programme de 20 heures qui permet de s’orienter, de se tester, de préciser le projet avant de se lancer définitivement. Ce programme est individualisé en fonction du profil des candidats. Certaines personnes auront besoin de cours de français langue étrangère, d’autres toucheront un peu à tout avant de choisir une formation spécifique par exemple.


La Régie des Quartiers organise depuis 2022 un Cyber Café Social. Pourquoi ce nom, est-ce différent d’un Espace Public Numérique classique ?

Image4Toute la différence s’exprime déjà dans le nom : social versus numérique. Dans un EPN, ou un cybercafé ordinaire, l’accent est mis sur le volet technique de l’accès aux outils numériques. Chez nous, l’outil informatique sert au social. Ce sont d’ailleurs des travailleurs sociaux qui accueillent les utilisateurs.

Nous sommes donc confrontés à des demandes très diverses. Nos visiteurs viennent pour accéder à un ordinateur connecté à internet, mais aussi pour un coup de main dans la rédaction d’un CV, pour comprendre un courrier administratif ou gérer les factures. Bien entendu, nous ne sommes pas compétents pour tout et certaines demandes vont bien au-delà du ponctuel, mais au besoin, nous pouvons orienter vers des services plus spécialisés.

Nous avons l’avantage d’être au plus près des gens dans les quartiers où ils habitent. On pousse facilement la porte de notre Cyber Café Social, une fois ou régulièrement, dans son quartier ou chez les voisins. Entre les usagers, des liens se créent, et le coup de main ne vient pas toujours du travailleur social.


Pourriez-vous nous donner un exemple d’une réussite, d’un résultat de votre action dont vous êtes fier.e.s ?

Le Cyber Café Social est certainement une réussite. Nous avons lancé le ballon d’essai en juin 2022 et réellement démarré le projet en septembre de la même année. À peine 6 mois plus tard, nous avions déjà accueilli 530 personnes différentes, et il nous a fallu moins d’un an pour réaliser l’objectif de fréquentation que nous nous étions fixé à trois ans.

Cela nous conforte dans notre approche d’un accompagnement transversal et polyvalent, basé sur les constats que nous faisons sur le terrain. C’est le même principe qui guide nos formations. Là aussi, nous progressons. En 2022, nous avions 71 stagiaires, 46 hommes et 25 femmes. La proportion de femmes a fortement augmenté avec la création de la filière nettoyage. Nous espérons pouvoir doubler le nombre de stagiaires bientôt, sans déroger à notre règle d’occuper un maximum de quatre stagiaires sur le même chantier.

Soit dit en passant, les femmes sont proportionnellement plus nombreuses (60%) que les hommes dans nos cybercafés sociaux. Cette structure de proximité donne donc aussi un levier au pouvoir d’agir des femmes.


Quels sont les problèmes récurrents que vous rencontrez sur le terrain ?

On peut résumer en disant que nous sommes confrontés aux difficultés qui minent tout le secteur social. Tout d’abord, le manque de moyens et la pénurie de personnel formé, comme les assistants sociaux et les éducateurs spécialisés. Les besoins sont criants, les projets pour y répondre existent, mais il faut les financer et les mettre en œuvre. Et même quand le recrutement est prévu, il n’est pas évident de trouver des candidats avec le profil adéquat.

Il arrive aussi que nous cherchions des volontaires bénévoles pour nous épauler, par exemple au Cyber Café Social. Nous aimerions les intégrer pour favoriser le lien social, l’aide entre pairs, la solidarité dans les quartiers, mais nos appels à candidats n’ont pas encore eu l’effet escompté.


La Régie des Quartiers de Liège est une ASBL intimement liée aux pouvoirs publics. Considérez-vous cette dépendance comme un avantage ou un inconvénient ?

Image5Il est vrai que ces liens limitant l’autonomie peuvent être bloquants, mais la collaboration avec l’organe d’administration de l’ASBL est actuellement excellente. Même si nous devons nous plier aux obligations de nos partenaires publics, ce qui peut occasionner des délais, notre marge de manœuvre sur le terrain est assurée.

N’oublions pas non plus que les avantages ne sont pas à sens unique : nous disposons de certaines facilités, notamment pour pouvoir organiser des activités dans des locaux comme les Maisons intergénérationnelles, mais nous pouvons aussi collecter des informations utiles pour faire face à des problématiques structurelles. Pensons par exemple aux démarches administratives : puisque nous sommes intégrés dans la dynamique locale, nous mettons parfois le doigt sur des points de friction, des procédures inutilement complexes qui entravent l’accès aux services publics, particulièrement pour des usagers déjà fragilisés.

 

La lutte contre la pauvreté, c’est la raison d’être d’un Centre public d’aide sociale. Nous profitons donc de la présence du président du CPAS de Liège pour lui demander comment l’action de la Régie des Quartiers de Liège, dont il est président également, s’articule par rapport aux autres services d’aide sociale.

Les deux sont très complémentaires. La Régie des Quartiers peut offrir un accompagnement de proximité et une qualité de suivi que le CPAS ne peut pas assurer. Pas que nous ne le voudrions pas, au contraire, mais dans un grand centre urbain comme Liège, les assistantes sociales doivent prendre en charge un tel nombre de dossiers qu’il reste peu de temps pour faire autre chose que gérer les revenus d’intégration. Pourtant, le CPAS ne s’occupe pas seulement des aspects financiers. Les activités de nos services d’insertion sociale (SIS) et socio-professionnelle (RéINSER) sont similaires à ce que fait la Régie, mais sont perçus différemment.

Un service public comme le CPAS est en quelque sorte corseté dans ses missions. Pour ses usagers, une convocation RéINSER peut avoir un parfum de contrôle et susciter la crainte. Un entretien à la Régie des Quartiers par contre se déroule généralement dans une atmosphère plus constructive. On ne porte pas de jugement, le but est d’amener l’usager à assumer sa situation, à identifier ses compétences, à reprendre confiance.

Bref, la Régie des Quartiers constitue un chaînon précieux dans un parcours d’insertion socioprofessionnelle, dans la mesure où il rend confiance et installe les bases de la progression pour des personnes qui intégreront ensuite d’autres dispositifs avec plus de chances de succès.

 

Mesdames Gerckens et Korevaar, Monsieur Bonjean, merci de nous avoir éclairés sur cette Régie des Quartiers de Liège, qui gagne à être mieux connue. Pour terminer, nous mentionnerons d’ailleurs une initiative à destination d’un public plus large.

En 2022, la Régie des Quartiers de Liège a organisé en collaboration avec les régies de quartier de la plateforme du bassin liégeois le Festival du film sauvage, en lui donnant une dimension plus sociale. L’occasion rêvée de découvrir les actions menées dans le cadre de leur mission : améliorer le cadre de vie des quartiers fragilisés et travailler de façon inclusive sur le vivre ensemble, l’insertion sociale et l’insertion socioprofessionnelle de leurs habitants. À quand la prochaine édition ?

 

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