Le Babibar - Interview de Valérie Beghain

Le Fonds Truffaut-Delbrouck se concentre sur la pauvreté infantile dans les écoles que fréquentent les enfants précarisés. Nous sommes convaincus que l’éducation est un élément clé dans ce qui est parfois appelé la transmission intergénérationnelle de la pauvreté, mais nous ne fonctionnons pas en vase clos. Comme nous, d’autres acteurs du secteur public ou associatif agissent pour renforcer l’émancipation individuelle et sociale.

Logo Babibar, LiègeLe Babibar est un projet citoyen et participatif, autour d’un espace d’échange, d’entraide et de coopération entre parents de tous horizons. Actuellement situé en Outremeuse, il propose depuis 2014 un lieu d’accueil, de convivialité et de solidarité, adapté aux tout-petits et à leurs familles. Ateliers-rencontres, dimanches en famille, ateliers périnataux, service de prêt ou location de matériel de puériculture, atelier intergénérationnel de couture font partie d’un programme en constante évolution, puisque Le Babibar repose sur le principe de la solidarité entre pairs.

Madame Valérie Beghain, responsable et coordinatrice du Babibar, a accepté de rencontrer le Fonds Truffaut-Delbrouck pour nous expliquer comment le travail de l’ASBL Les Parents jardiniers, à l’origine du projet, s’inscrit non seulement dans le soutien à la parentalité, mais aussi dans la lutte contre la pauvreté infantile.


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Madame Beghain, allons droit au but. Le Babibar a reçu le le Prix fédéral de Lutte contre la Pauvreté 2019. Pouvez-vous nous dire pourquoi  ?

Le Babibar, photo 1Lors de la création du Babibar, nous sommes parties d’un constat : les parents, pourtant en première ligne, ne sont pas considérés comme des professionnels de la petite enfance. Nous avons donc voulu ouvrir un lieu de rencontre accordant une place centrale à la pair-aidance. Il a été conçu et accompagné par et pour les familles vulnérables. Des experts du vécu (familles monoparentales, personnes isolées, personnes en situation de précarité financière et/ou psychologique) rassemblent leurs ressources. Par cette dimension participative, nous apportons des réponses complémentaires à celles véhiculées par les projets psycho- et médicosociaux de soutien à la parentalité. Au Babibar, tout parent est acteur effectif de changement, préoccupé au nom de ses enfants par le monde et la société de demain.

 

Concrètement, que fait-on au Babibar ?

Ah, une petite question à laquelle il n’est pas si évident de répondre en quelques mots. Nous voulons rompre l’isolement, créer du lien, promouvoir la solidarité entre les familles. Notre rôle est donc de faciliter les échanges, et nous avons opté pour une structure inclusive. Au départ, le Babibar se résumait à un lieu pour se poser, jouer, rencontrer d’autres parents avec des enfants de 0 à 4 ans. On y entre librement quand la porte est ouverte, et elle l’est souvent, pour quelques minutes ou quelques heures.

Le Babibar, photo 2Progressivement, au gré des demandes et des possibilités, nous avons développé autour de ce noyau des activités, des ateliers et des services. Lorsque ce n’est pas gratuit, nous proposons des tarifs solidaires, et qui restent toujours démocratiques. Il y a des ateliers périnataux (collectifs, sur inscription), le Babisouk (prêt et location de matériel de puériculture), des spectacles et animations pour toute la famille, un espace de jeux pour les plus grands, des ateliers intergénérationnels, espace numérique kids friendly et bien d’autres choses.
Toutes ces activités servent le but majeur du Babibar, qui est de mettre en contact, en relation, afin de permettre un soutien mutuel.

 

Beaucoup d’activités du Babibar focalisent sur les tous jeunes enfants et leurs parents. Pour quelle raison vous concentrez-vous prioritairement sur cette tranche d’âge ?

Ici aussi, nous sommes partis des besoins et des attentes des participants. À Liège, on peut estimer que plus de 65 % des enfants en bas-âge ne fréquentent aucune structure d’accueil et sont pris en charge par leur entourage direct. Quand le parent d’un bébé ne peut pas s’appuyer sur un tissu social solide, il se retrouve donc très facilement dans une situation d’isolement. Or, l’aide existante cible souvent des catégories bien précises de la population et est assez cloisonnée. Chez nous, les parents se rencontrent et s’entraident, au-delà des critères économiques, sociaux ou culturels : le souci de l’enfant fait tomber beaucoup de barrières… Par ailleurs, comme je l’ai déjà dit, le Babibar évolue avec ses usagers. Les bébés de la première heure sont devenus des enfants qui accompagnent leurs petits frères ou sœurs, et nous nous sommes ouverts à d’autres besoins en intégrant l’aspect intergénérationnel. C’est d’ailleurs ainsi que la « ludosphère » est née : un espace de jeux en bois adapté pour toute la famille.

Lors des dimanches en famille que nous organisons régulièrement, nous offrons aussi des spectacles de qualité, pour toutes les catégories d’âge ou des séances de cinéma enfants admis. Nous n’oublions pas la dimension d’éducation permanente de notre action, et voulons ainsi revendiquer l’accès à la culture pour tous.

 

Parlez-nous de votre public. Certains groupes de la population sont-ils plus présents ? Comment vous faites-vous connaître auprès de parents fragilisés ?

Au départ constitué majoritairement de mères avec leurs tout-petits, notre public se diversifie. Je commencerai par souligner que l’isolement, la fragilité physique ou psychologique, le désarroi face aux exigences ou réactions inattendues d’un bébé sont le quotidien de beaucoup de parents. Le Babibar se veut accessible à tous, c’est pourquoi nous pratiquons des tarifs solidaires.

Nous n’avons pas encore eu les moyens de développer le volet information et communication de notre projet, mais le bouche-à-oreille fonctionne très bien, sans oublier les réseaux sociaux. Nous avons encore parfois un peu de mal à être pris au sérieux par les services relevant de l’aide institutionnalisée, mais d’autres organismes et associations commencent aussi à mieux nous connaître, et nous font connaître à leur public. Je crois que nous pouvons nous réjouir d’une mixité sociale tout à fait satisfaisante.

 

Parmi les principes qui ont guidé votre projet dès le départ, il y a aussi la mixité culturelle et générationnelle. Où Le Babibar en est-il à cet égard ?

Le Babibar, photo 3Les mamans – et dans une moindre mesure, les papas – de milieux parfois fort différents se rencontrent chez nous, et les préjugés, les stéréotypes se déconstruisent pour laisser place à la solidarité. On s’occupe ensemble des bébés, on partage ses questionnements et ses bonnes pratiques. Le développement d’activités intergénérationnelles comme les ateliers de couture ou la ludosphère est plus récent. Quant à la mixité culturelle, elle n’est pas très développée, peut-être parce que nos concitoyens d’origine étrangère s’appuient sur des tissus sociaux et familiaux plus solides, ou passent par des structures d’accompagnement spécifiques.

 

Les parents jouent donc un rôle essentiel dans la vie du Babibar, mais progressivement, toute une équipe s’est mise en place autour d’eux. Comment réunissez-vous les compétences suffisantes pour répondre à des besoins plus spécifiques ?

C’est vrai que nos ressources propres ne suffisent pas toujours. Notre modèle de fonctionnement intègre l’expérience des parents, leur fait prendre conscience de leurs compétences et leur rend confiance en eux-mêmes pour envisager un avenir plus serein, mais il a ses limites. Huit personnes (4 équivalents temps plein) animent actuellement Le Babibar, et pour certaines activités nécessitant un encadrement professionnel, comme les ateliers périnataux, nous faisons appel à des intervenants externes. Nous pouvons aussi nous appuyer sur un réseau de partenaires qu’il nous arrive de solliciter pour des interventions ponctuelles.

 

Nous l’avons vu, vous proposez beaucoup d’activités gratuites, en accès libre généralement, parfois sur inscription. Par ailleurs, vous pratiquez des tarifs solidaires pour les ateliers payants. Comment financez-vous votre action ?

 

Le Babibar, photo 4Nous tenons beaucoup à la philosophie sociale de notre projet, qui est dénué de toute dimension commerciale. Les participations financières liées à nos activités ne couvrent donc pas nos frais de fonctionnement. Nous devons donc investir aussi une énergie considérable dans la recherche de financements, et nous avons profité de la fermeture liée à la crise-COVID pour répondre à des appels à projets et introduire des demandes de subventions auprès des pouvoirs publics. Ces démarches ont porté leurs fruits, mais sur le long terme, l’incertitude reste, puisque nous ne bénéficions pas de subsides structurels. En effet, un projet innovant comme le nôtre n’entre pas ou difficilement dans les « cases » existantes. Nous espérons que le soutien à la parentalité fera bientôt l’objet d’une reconnaissance au niveau politique, et avons récemment participé à une étude qui devrait ouvrir la voie à une telle reconnaissance.

 

Pourriez-vous nous donner un exemple d’une réussite, d’une action ou d’un événement qui vous tient à cœur ?

Eh bien, je dirais que le Prix fédéral de Lutte contre la Pauvreté a en quelque sorte validé notre projet. Au départ, celui-ci était précaire et fragile, nous avons dû faire face à beaucoup d’incompréhension, notamment des pouvoirs publics. Pour nous, il n’y avait pas de doute, notre modèle fait sens, mais il n’a par exemple pas été facile d’obtenir un agrément ONE comme lieu de rencontre parents-enfants. Ce Prix nous a vraiment permis de relever la tête et d’aller de l’avant.


J’imagine qu’il y a aussi des difficultés, des frustrations ou des échecs. Pouvez-vous nous faire part d’un problème qui vous préoccupe particulièrement ?

Au risque de me répéter, même si nous avons à présent acquis une certaines légitimité, je ne peux que rappeler que des initiatives comme la nôtre se heurtent encore à d’énormes obstacles parce qu’elles sont transversales : le projet Babibar relève de la petite enfance, mais aussi de la cohésion sociale, il intègre la dimension de genre et les questions écologiques, il participe à la lutte contre la pauvreté. Et pourtant, il nous faut toujours batailler pour que la pair-aidance ne soit pas seulement reconnue mais aussi financée, en tant que levier important pour promouvoir le bien-être des jeunes enfants et de leurs parents.

 

Pour terminer, pourriez-vous nous dire comment vous concevez le rôle que joue Le Babibar dans la lutte contre la pauvreté infantile ?

Je vous ai déjà parlé de la philosophie résolument inclusive, participative et non commerciale qui guide notre projet. Si nous avons choisi de nous engager dans le parcours du combattant que cela implique, c’est parce que nous avons la conviction qu’on peut ainsi combattre la précarité infantile. En aidant les parents à prendre confiance dans leur capacité d’action, dans leurs compétences en éducation, nous participons à la prévention de la pauvreté intergénérationnelle, et nous savons que les déprivations ne sont pas seulement matérielles. Il faut aussi renforcer le capital social et culturel des parents, afin qu’ils puissent se positionner comme acteurs de changement. Je rêve du jour où on parviendra à objectiver, à chiffrer la valeur de la prévention en matière de précarité infantile. Alors, Le Babibar n’aura plus aucune peine à trouver les moyens de survivre et de se développer.

 

Merci, Madame Beghain, d’avoir pris le temps de nous présenter Le Babibar et l’esprit qui l’anime. Pour avoir eu le privilège de visiter les locaux avec vous, je peux confirmer qu’il s’agit d’un lieu particulièrement accueillant et chaleureux. Il mérite assurément qu’on pousse la porte pour découvrir toutes les richesses qu’il recèle, à commencer par une équipe dynamique et à l’écoute.

 

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